Mon manifeste du riolisme

Il est clivant, il ne laisse pas indifférent : Daniel Riolo est un personnage à part dans les médias et le monde du sport. Une parole libre et acérée, reposant sur un mix de valeurs et d’idéaux qui ne sont pas sans contradictions. Le riolisme n’est pas tout à fait une philosophie, mais il a quelque chose d’une école de pensée. Ce qu’il apporte à la communauté de l’After Foot, à une génération entière d’auditeurs et au football français en général ? L’exercice de l’esprit critique, l’exigence, la remise en question. Des concepts forts qui ont contribué à forger ma propre approche du sport et de la société.

L’original, pas une copie

Je n’ai jamais été dans une logique de fan-club : les idées prévalent sur les personnes, on peut y adhérer sans avoir à fermer les yeux sur les contradictions de celui qui les porte. Mais parfois il faut choisir son camp pour apporter de la clarté, et le mien en matière de football est celui du riolisme. Mon exposition à son temps de parole a sans doute joué. Je suis auditeur quotidien de l’After Foot sur RMC depuis 2008, j'ai eu le temps de m’infuser son approche du football, qui ne se limite pas au terrain. Daniel Riolo, c’est à la fois des avis très tranchés et une pensée complexe, une vision holistique de la société où se croisent plusieurs idéologies reflétant les différentes facettes de sa personnalité. Comme beaucoup d’auditeurs de l’After, «je suis très souvent d’accord» avec ce que dit l’éditorialiste foot de RMC, ce à quoi il rétorquera sans nul doute qu’en définitive il a toujours raison. Il a tort, mais c’est aussi un peu pour cela qu’on l’aime. Certes, il est dans le vrai. Mais la première qualité d’un «sachant» n’est-elle pas d’admettre sa propre ignorance ? C’est l’un des (rares) reproches que je ferais à Daniel Riolo, l’un de ses travers qui lui valent une litanie d’insultes sur les réseaux sociaux.

Il ne s’en cache pas, il l’assume et c’est une première pierre dans la cour du politiquement correct : Daniel Riolo est un libéral. Je le rassure, ce n’est pas un gros mot dans ma bouche. Sa grille de lecture est à droite, sa préférence va clairement à la valeur travail et au principe méritocratique plutôt qu’à l’assistanat et au nivellement par le bas. Et la culture du résultat ? Première contradiction riolienne. L’éditorialiste entretient en effet un rapport ambivalent avec la notion de performance, si prépondérante en matière de libéralisme économique. D’un côté, il pointe sans cesse – et à raison – les lacunes du football français de clubs à travers le prisme de la faiblesse de son palmarès à l’échelle européenne et du manque d’exigence de ses acteurs. De l’autre, il ne cesse de clamer la prééminence du «beau» sur le résultat, l’aspect secondaire de la victoire par rapport à la trace laissée dans les esprits. En matière de formation par exemple, Daniel Riolo considère que l’on ne peut juger la qualité d’une génération à l’aune des trophées qu’elle a conquis (Gambardella, Euro U17, etc.). Son hémisphère droit libéral se heurte ici à son hémisphère gauche romantique, où règne le dogmatisme du beau jeu. Une forme d’utopie où seul le football répondant à un certain idéal mériterait de l’emporter. Une forme de manichéisme entre les gentils (joueurs techniques, philosophie offensive) et les méchants (joueurs physiques, philosophie défensive).

Une vision libéralo-romantique

Sur cet aspect, le romantisme qu’il prône dans l’After se heurte au pragmatisme d’un Didier Deschamps, dont l’ambition n’est pas de développer le football le plus séduisant mais le schéma le plus à même de conduire au succès. DD plus libéral que Riolo ? Oui et non, car le sélectionneur défend d’une certaine manière l’idée – très ancrée à gauche – de «l’égalité des chances», perpétuant le fantasme qu’en football, le moins fort sur le papier peut faire tomber le meilleur en détournant le jeu à son avantage. Et c’est l’essence même du football, la raison pour laquelle ce sport a une telle résonance universelle ; tout y est possible, il n’existe pas une voie unique qui mène à la victoire, les laborieux et les besogneux peuvent triompher des vedettes en annihilant le jeu pour imposer leurs vertus – le combat, l’état d’esprit, le réalisme. Alors son regard condescendant à l’égard de cette approche m’a toujours chagriné, car c’est nier une part importante de ce qu’est ce sport : une machine à rêves mais aussi une lueur d’espoir pour chacun. Je trouve cela d’autant plus surprenant de sa part qu’il souffre lui-même d’un procès régulier en illégitimité qui consiste à remettre en question son droit à la parole alors qu’il n’a jamais été un footballeur de haut niveau. Alors qu’il est la preuve que l’on peut peser dans le milieu sans CV, sans avoir brillé sur les pelouses mais grâce au mérite et à la pertinence de ses idées. J'emploierais une métaphore très riolienne : en boite, on n'est pas obligé d'être le plus beau ou le plus riche pour repartir avec miss France.

Avec son mix idéologique libéralo-romantique, Daniel Riolo cède clairement à la tentation de l’élitisme. Dans sa vision, il dresse une sorte de cordon sanitaire entre les « gros » – ceux qui peuvent se prévaloir d’appartenir à l’élite en raison notamment de leurs moyens financiers – et les « petits » – des faire-valoir qui ne sont structurellement pas aptes à se frotter au très haut niveau. Deuxième contradiction riolienne : cette distinction va à l’encontre de la méritocratie qu’il prône. Néanmoins, il ne s’oppose pas au succès spontané d’une équipe qui a su s’extraire de sa condition pour performer, à l’image de l’Ajax demi-finaliste de la C1 2018/19. Néanmoins, ce type d’aventure trouve grâce à ses yeux uniquement lorsque le mérite est basé sur la philosophie de jeu qu’il défend. Il se montera en effet moins dithyrambique avec l’équipe de France championne du monde en 2018… Dans le football de clubs, il assume aussi une pensée empreinte de fatalisme : s’il peut exister des péripéties ponctuelles (Montpellier 2012, Leicester 2016), la hiérarchie est immuable et se matérialise en « chapeaux » au sein desquels la mobilité est limitée et conditionnée aux moyens le plus souvent. Cette vision élitiste – parisianiste dira-t-on en province – est très difficilement perçue par les supporters, l’essence de la communauté de l’After Foot, qui y voit la subjectivité de l’éditorialiste alors que cette analyse relève davantage de l’objectivité et d’une forme de lucidité à mon sens. C'est aussi la raison pour laquelle Gilbert Brisbois l'affuble régulièrement du surnom d’extincteur, alors que ce n’est que la froide réalité statistique de ce sport. Un discours que l’on a du mal à entendre lorsqu’on est émotionnellement investi à l’instar d'un supporter.

Un populisme teinté de snobisme ?

Daniel Riolo et les supporters… On approche de la troisième contradiction. Celle d’un leader d’opinion associé à un talk. Car son approche du débat d’opinion est biaisée : il a raison. Tout le temps. Je ne lui reproche pas ses convictions, mais sa faible propension à s’appliquer à lui-même les concepts qu’il défend et parmi eux la remise en question. Daniel Riolo n’aime pas la contradiction, et pourtant il s’y confronte chaque soir depuis 2006. Masochisme ? J’y vois plutôt une source de satisfaction sans cesse répéter car il triomphe régulièrement par ses idées et surtout sa capacité à les exposer, à les défendre et à les imposer. Il y a de la clarté dans son propos, et un vrai talent dans sa force de persuasion. En partie parce que ses idées sont dans le réel et non dans l’idéologie. Mais aussi parce que malgré un certain snobisme dans sa manière d’être – on en revient au parisianisme –, il sait tenir un discours direct dans un langage populaire. Son snobisme ne prend pas la forme d’une prose pédante et arrogante, son expression est plus proche du bon sens paysan et c’est là encore assez contradictoire que de dire cela de ce Francilien pur sucre !

Alors d’où vient ce ressentiment que l’on perçoit régulièrement au moment d’évoquer ce «personnage» des médias et du football français ? Pourquoi n’existe-t-il pas de juste mesure entre les pros et les antis ? Parce qu’il est intransigeant dans une époque qui ne tolère plus l’âpreté du réel. Aussi parce que les supporters jugent ses propos à l’aune de leur propre grille de lecture et non la sienne. Car Daniel Riolo ne se revendique d’aucune chapelle, son approche est transpartisane et même désintéressée. Il mène sa croisade pour la beauté du geste, on peut d’ailleurs lui accorder une grandeur quasi chevaleresque lorsqu’il refuse de polémiquer autour de l’arbitrage. Au fil des années, j’ai observé une grande proximité dans l’analyse entre lui et les supporters marseillais, ce qui pourrait paraître impensable si l’on persiste à le considérer à travers le prisme du supportérisme. Non, Daniel Riolo n’est pas un supporter, il est «au-dessus» de la mêlée. Et c’est cette hauteur de vue qui lui vaut le rejet d’une partie des amateurs de football. Je lui reconnais également une certaine allure de cowboy solitaire dans sa capacité à ne pas exercer ce métier pour plaire ou se faire des amis, mais défendre ses convictions.

Un conservateur aux accents révolutionnaires

S’il était un sujet d’étude en psychologie, on se pencherait inévitablement sur cette confiance qui l’habite et lui permet d’assumer ses opinions sans sourciller. On interrogerait ce qui ressemble à un complexe de supériorité et même une forme d’égocentrisme pathologique à sans cesse ressentir la conviction d’avoir raison. Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais côtoyé et je ne prétends pas savoir qui est Daniel Riolo. J’ai pointé ses contradictions mais elles l’humanisent et contribuent à son charme, car c’est au travers de ces petites imperfections qu’il en devient profondément attachant. Un After sans Daniel, c’est indéniablement un manque pour la vigueur du débat contradictoire. La relation d’amour vache et de complicité souvent virile nouée avec l’équipe de l’After nous invite chaque soir dans un boy’s club, un des derniers territoires du monde d’avant qui persiste dans les médias. Un côté «vestiaire» qui lui a valu un autre procès avec Jérôme Rothen en 2019, celui de l’hygiénisme et du politiquement correct. Sujet sensible, mais je dirais simplement que je partage son allergie à la démagogie.

Il existe une part de conservatisme chez Daniel Riolo. Naturelle lorsqu’on est équipé d’un logiciel de droite me direz-vous. Il aime les classiques, est resté fidèle aux idoles de sa jeunesse – Martin Scorcese et Diego Maradona –, il pourfend le VAR et se montre souvent distant avec les idées «progressistes». Mais c’est aussi un réformiste, un révolutionnaire même à l’égard du fonctionnement du football français. On ne peut lui reprocher aucune collusion avec le pouvoir ! Son conservatisme n’est pas absolu et son réformisme est sélectif, les deux servant sa vision utopique d’un football tel une orgie d’émotions et de qualité de jeu. Cela complète le tableau d’un homme de convictions et de contradictions, mais dont la noblesse des ambitions force le respect. Je lui trouve même une certaine candeur un brin enfantine à rester attaché à un idéal malgré son expérience du cynisme dans le football et la société en générale. Il flirte avec les règles, il défend une vision obéissant à son propre schéma de pensée, il n’a pas toujours raison, mais Daniel Riolo est un repère pour beaucoup d’entre nous.

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L'auteur

Fabien Zaghini
Je m'appelle Fabien Zaghini et je suis freelance en marketing digital. Tendances SEO & SMO, best practice rédactionnelles, prises de parole : ce blog est mon espace d'expression autour de mon métier et des sujets qui me tiennent à coeur.